espace temporaire d'art contemporain
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04.02.2023 - 05.03.2023
balak #14 - hush
espace lebon
08000 charleville-mézières / france
mathis berchery
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balak #14 - hush
Pour la 8e édition du programme Suite, le Centre national des arts plastiques (Cnap), en partenariat avec la Société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques (ADAGP), s’associe avec des lieux indépendants pilotés par des artistes ou de jeunes commissaires soucieux de renouveler les pratiques curatoriales.
Le programme Suite souhaite ainsi donner une visibilité publique à une sélection de projets ayant bénéficié d’un soutien à un projet artistique ou à un projet de photographie documentaire du Cnap en les accompagnant dans le cadre d’une exposition.
→ Parmi la liste des artistes proposé.e.s par le CNAP, Balak a sélectionné l'un.e des plus jeunes dans une volonté de soutenir la jeune création.
→ Le lieu d'exposition n'a pas été choisi par Balak mais par l'artiste qui a également souhaité effectuer lui-même le commissariat.
mathis berchery, quand les relations deviennent formes
Mathis Berchery imagine d'autres formes possibles de relation à l'autre, à la société, entre les disciplines, avec les matières, avec les corps. Ses explorations du langage, des arts visuels, de la performance et des territoires produisent des paysages habités par la pensée toujours en action de l'artiste en quête d'anticonformisme.
Dans ses textes entraînants, engageants, intrigants, savoureux, rythmés, scandés, Mathis Berchery explore la multiplicité des langages parlés, chantés, chuchotés, poétiques, performés, politiques tout autant que l'humain en tant qu'animal social. Il travaille les mots, les sens, les sonorités, les rythmes, les silences, joue avec la confusion. Collectées, les paroles peuvent aussi être à la source de la création de ses oeuvres plastiques, lorsque l'artiste plasticien performeur et écrivain plonge dans les archives des lieux qu'il habite temporairement, lorsqu'il rencontre les habitants d'un territoire le temps d'une résidence, ou lorsqu'il se nourrit de philosophie, d'éthologie, d'anthropologie. Ainsi s'intéresse-t-il à Philippe Descola dont « Les quatre ontologies qu'il a distingué - animisme, naturalisme, totémisme, analogisme - m'ont aidé à entrevoir des alternatives de comportement, d'attention, de relation au vivant et entre humains. ». L'écriture participe au sens, au contenu, tout autant qu'à la forme, au contenant. Le langage devient oralité lorsqu'il se déploie à l'occasion d'une performance. Les mots deviennent des signes tracés délicatement sur une feuille, participent à une installation, à une sculpture.
Mathis Berchery expérimente la matière de ses œuvres. Le langage, mais aussi la photographie qu'il découpe et suspend, les minéraux et les végétaux de préférence endémiques telle la pierre bleue de Belgique et le pin maritime, le corps aussi, qui se donne à l'autre - le sien, celui des performeurs ou celui du visiteur qu'il incite à se déplacer pour appréhender les oeuvres dans leur entièreté. Tout comme l'architecte Philippe Rahm imagine de nouveaux matériaux en architecture, « L’air, la lumière, la chaleur, l’humidité constituent les nouveaux matériaux de l’architecture, à côté de la brique, du bois, de l’acier ou du béton », les matériaux de Mathis ne sont pas uniquement plastiques ou langagiers. Ils sont aussi relations entre et avec, le corps, les formes, les mots, l'artiste, le regardeur, la culture, les gens, le contexte, le bois avec la pierre (Ombres de veines), le dessin avec les mots (Ciels instantanés), la légèreté de la suspension avec la rigidité de la structure (Le bois des flammes), la douceur avec la provocation, le passé (le sien, celui des lieux, des gens) avec le présent (celui de la création) et l'avenir. Et lorsqu'il travaille les mots, c'est aussi avec le corps et avec la voix qui va les révéler à l'autre. Ses œuvres sont matières et relations, elles partent et parlent du corps et de l'esprit, pour devenir paysages, révélant une pensée systémique, voire, « vagabonde, de systèmes en systèmes ou d'ontologies en ontologie », précise-t-il.
A partir de rencontres explorées et d'éléments naturels découverts in situ dans les contextes de création et qu'il se réapproprie, Mathis imagine des paysages qui mettent en relation des mots, des formes, des images. Il révèle des formes, des répétitions, des idées, des sensations. Sa lame suit les veines du bois, comme elle suivit les traces de l'effacement d'une partie des photographies tirées des archives de l'Espace Krajcberg et de Pierre Restany, tirées du fonds des Archives de la Critique d'art de Rennes (ACA), qu'il découpa pour le projet Les yeux rives. Il ne détruit pas, il extrait pour ne garder que la substantifique moelle ainsi valorisée. Ses paysages ainsi créés invitent tout autant à s'y plonger pour ressentir qu'à une mise à distance pour saisir, construire une pensée autonome. Car l'art de Mathis est aussi politique. Son projet Les états sensationnels associant performance, poésie et installation plastique « donne à lire de multiples manières d'habiter, en réaction au cadre de la société actuelle, explicite l'artiste. Il s'inscrit aussi dans un questionnement sur la possession, l'appartenance et la propriété, ainsi que sur la possibilité de se départir des habitudes liées avec ces notions. » L'art apparaît comme un moyen pour l'artiste de s'émanciper d'une culture qui l'enferme. Pour preuve un extrait de son texte L'homme négatif de 2021 « L'homme négatif ne veut pas qu'on lui dise quel genre de personne il est, il ne veut pas qu'on lui dise à quel genre d'humain il devrait correspondre, pas qu'on lui dise que genre il y a, il ne veut pas genrer, il ne veut pas qu'on lui rappelle ce qu'il a entre les jambes, qu'on lui dise c'est son genre de faire cela ou de ne pas faire ceci (...) ». Les mots lui permettent de se libérer des conventions, de construire au-delà du donné une nouvelle réalité encore en construction. La liberté poétique de Christophe Tarkos l'inspire. « Il y a de la répétition, de la variation, un motif de spirale qui m'intéresse beaucoup, qui me semble plus proche de la pensée immédiate. Une vivacité s'en dégage, une spontanéité proférée qui, je trouve, tente de mettre le langage "habitué" en défaut. ».
A l'image des artistes exposés par Harald Szeemann dans « Quand les attitudes deviennent formes » en 1969 à Berne, Mathis, plutôt que d'évoquer, crée des situations avec le réel, avec les veines du bois, les bris des pierres, les sonorités des mots, les cours d'eau, mais aussi avec son corps, pour faire réagir et agir. Dans son mémoire critique rédigé en 2020 à l'issue de son Master Création littéraire, sa référence à Isabelle Stengers, « spécialiste de la pensée du process et de l'interdépendance », révèle sa réflexion à l'œuvre. Pour la philosophe des sciences, écrit-il, la science-fiction « par ce travail d'imagination, par cette création de mondes possibles, c'est l'emprise du monde réel, « celui qui entend nous faire croire qu'il est le seul possible », qui est affaiblie. Il est donc moins question de sublimer par des images poétiques, que de rendre puissant des possibles. La fiction alors autorise à sentir, et vise à soulever plutôt qu'à tranquilliser, reposer, terrer. ». Mathis crée de nouvelles réalités à expérimenter, à vivre et non pas uniquement à admirer ou à posséder. Il fraye ainsi aussi avec les artistes de l'Esthétique relationnelle conceptualisée par Nicolas Bourriaud dans les années 1990. « Cette notion se retrouve aussi chez Edouard Glissant, dans un projet, stimulant artistiquement et politiquement, de poétique généralisée, prolonge l'artiste. J'aime l'opacité de cet auteur et la générosité de son concept de relation. ».
Mathis Berchery cherche, se cherche, cherche l'autre, cherche la relation. Il la provoque aussi, au sein de l'entité Uklukk, collectif à dimension variable qu'il a fondée avec l'artiste Angèle Manuali, laboratoire transdisciplinaires de pratiques collectives. Ils y proposent d'autres manières d'habiter le corps, de faire société. Ses œuvres construisent des liens, entre les êtres, entre les domaines de création, entre l'art et la vie, avec la matière. Son art de l'interdépendance propose un cadre, des idées, des relations, des formes, invite l'autre à les pénétrer, à écouter les mots couler, jouer, répétés, chantés, murmurés. Il libère, peut-être l'artiste, le regardeur sans doute, qui peut les suivre, se perdre, revenir, pour enfin se laisser emporter.
1 - Philippe Rahm, Histoire naturelle de l'architecture, thèse soutenue en 2019 à l'Université Paris Saclay.
Paris, le 20 janvier 2023
Aude de Bourbon Parme
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exposition réalisée avec le soutien
du cnap, de l'adagp, de la région et de la ville de charleville-mézières
© emma fourel-lelandais